Si le site de Marne-la-Vallée du Grand Hôpital de l’Est parisien est bien connu pour ses urgences. Il est moins connu du grand public pour son accueil des victimes, en particulier mineures. Rencontre avec le chef de service de l’unité médico-judiciaire (UMJ), le docteur Bernard Marc, samedi 18 mars.
L’unité médico-judiciaire de l’hôpital de Jossigny réalise de la pédiatrie médico-légale avec une unité d’accueil pédiatrique Enfance en Danger (UAPED), dans un cadre judiciaire, mais aussi lors de signalements d’informations préoccupantes. L’accueil des mineurs s’effectuait déjà depuis 2013, mais il y a eu un virage en 2021 avec des moyens débloqués par l’ARS (Agence régionale de santé) à la suite d’un plan quinquennal sur l’enfance.
Une salle a été aménagée, avec une décoration atypique, une fenêtre en trompe l’œil donnant sur un bord de mer aux couleurs pastel, et un équipement sophistiqué. S’y pratiquent des auditions filmées des enfants. Un OPJ (officier de police judiciaire) est avec le mineur pour réaliser un entretien, et non un interrogatoire. Derrière une vitre teintée se tiennent un deuxième OPJ, un psychologue et parfois un médecin. Le docteur Bernard Marc, chef de service, explique : « Il s’agit de recueillir la parole de l’enfant le mieux possible. Nous sommes là pour conseiller l’OPJ. Il y a tout un protocole avant d’aborder les faits. L’enquêteur parle des jeux de l’enfants, de l’école… La parole de l’enfant peut passer aussi par l’analyse de son non-verbal. C’est tout l’intérêt de l’audition filmée, en particulier chez les tout-petits. Des raidissements, des mimiques peuvent ne rien donner dans un procès-verbal classique, parce que l’enfant ne dit rien. Là, il ne dit rien, mais ce n’est pas qu’il ne se passe rien. C’est peut-être trop difficile pour qu’il puisse parler. Les psychologues interviennent beaucoup dans les auditions pour aider à repérer les éléments de langage verbal et de langage corporel. L’audition filmée permet aussi de ne pas avoir à resolliciter la parole de l’enfant. »
En 2022, pour sa première année de fonctionnement total, l’unité a accueilli soixante auditions filmées d’enfants âgés de 4 à 15 ans. La durée moyenne des entretiens est de trente minutes. Si un tiers des violences sur les petites victimes étaient physiques, les deux tiers étaient sexuelles.
Le docteur Marc détaille le parcours dans l’unité : après l’entretien qui donne des pistes de travail aux professionnels, il y a une visite médico-légale, où peut s’effectuer la recherche d’agression sexuelle. Ensuite vient l’évaluation psychologique, « moment où l’on prend plus soin de l’enfant », puis la mise en place d’un soutien.
La salle de consultation médicale ne ressemble pas aux salles habituelles de l’hôpital. Le patient s’y retrouve dans un environnement zen, japonisant. La seconde différence est l’appareil photo à côté de la table d’examen et les sachets pour les pièces à conviction. Bernard Marc déclare : « Le corps est une scène de crime. Il faut avoir à la fois l’examen le plus criminalistique de cette scène de crime particulière et le respect le plus important du corps de la victime et de son intime. Il faut des preuves judiciaires pour que la personne soit prise en considération, pour faire condamner l’effraction de l’intimité et l’effraction du psychique. Les bleus s’effacent, mais la mémoire reste… » Les médecins et psychologues de l’unité peuvent être appelés à donner leur expertise pendant l’instruction des affaires, mais aussi au moment des procès devant les juridictions de jugement.
L’UMJ fonctionne avec des gardes, 24 heures sur 24. Elle est composée de six praticiens, dex infirmières, un psychologue et deux secrétaires. L’UAPED compte un médecin, un psychologue et une infirmière. Neuf cent quarante-six mineurs sont passés par le service en 2022. Parmi eux, des mineurs isolés sont envoyés par le palais de justice de Paris afin d’effectuer une détermination d’âge, grâce au scan de leurs clavicules.
En 2022, l’unité a accueilli au total deux mille cinq cent treize adultes et enfants confondus, victimes de violence. Le public n’y vient pas directement, mais s’il y a réquisition judiciaire. 50 % des violences étaient infra-familiales.
La médecine légale
Le chef de service de l’UMJ de l’hôpital de Jossigny est aussi médecin légiste. Il expose : « L’autopsie a laissé place à la virtopsie, l’autopsie virtuelle, une imagerie 3D post-mortem. On passe les corps au scanner. L’autopsie à l’ancienne se fait de plus en plus rare et n’est pratiquée que lorsque le corps est très dégradé ou que c’est une affaire criminelle. Je la pratique déjà depuis 2005. Le scanner est de plus en plus performant. Il permet une acquisition complète des lésions sans toucher au corps. Cela donne aussi une idée de l’air qui peut être dans le corps. Pour une plaie par coup de couteau, le couteau qui rentre va pousser de l’air. Le scanner permet de voir la bulle d’air et donc de savoir à quelle distance a été enfoncé le couteau. Le corps est conservé virtuellement, si le juge a une question un an après, on lui ressort l’état du corps du jour de sa découverte. Cela permet aussi de demander des avis multiples et variés, alors qu’on ne peut pas transporter un corps dans différents services de médecine légale ou faire venir quinze légistes, mais vous pouvez faire lire les images par quinze personnes. » Bernard Marc poursuit : « La virtopsie est aussi pratiquée chez des vivants pour les tentatives d’homicide. Elle complète le compte-rendu post-opératoire et nous avons des éléments pour répondre aux questions du juge. La technique permet une modélisation parfaite avec une marge d’erreur au millimètre près. »