Christine Bretonnier-Andreani, professeur au collège de la Dhuis à Nanteuil-lès-Meaux, et Marc Giorgi ont présenté, samedi 5 juin, à Meaux, le livre qu’ils ont coécrit, « Giono et la Corse ». Parler de Giono et de la Corse tient du paradoxe selon les auteurs, car il est attesté que Giono n’y a jamais mis les pieds… Alors…
Dans la préface du livre édité aux Editions Maia, coécrit par Christine Bretonnier-Andreani et Marc Giorgi, Jean-Guy Talamoni (président de l’Assemblée de Corse) écrit : « L’ouvrage a quelque chose d’une histoire de famille, y compris pour le rédacteur de ces lignes ». Giono et la Corse, c’est un paradoxe : l’auteur n’y a jamais mis les pieds.
Le livre, c’est une histoire de famille, au singulier. Mais également une histoire de familles. Celles des Valéry et des Jason ; des familles qui n’appartiennent pas au même monde puisque la première est réelle et la seconde de l’ordre de la fiction. De surcroît, une mer les sépare, des terres aussi.
Magjournal a rencontré Christine Bretonnier lors d’une lecture d’extraits de Giono et la Corse, accompagnée de Petter Villalba et de Karim Elloumi au violon.
Magjournal : Quels sont vos liens avec Meaux et la Seine-et-Marne ?
Christine Bretonnier-Andréani : Je suis arrivée en Seine-et-Marne au CM1/CM2. J’ai effectué ma sixième au collège Henri-Dunant, mes classes de cinquième, quatrième et troisième au collège Albert Camus. Je suis allée au lycée Moissan pour avoir le bac en 1974. Après des études à la Sorbonne, j’ai intégré l’Education nationale en tant que professeur agrégé de lettres modernes et j’enseigne encore en Seine-et-Marne.
Quels sont vos liens avec la Corse ?
Je suis originaire du village de Pietra di Verde. Le village a développé mon imaginaire d’enfant bien avant ma découverte de Giono et c’est sans doute cela qui m’a permis d’explorer l’ensemble de l’œuvre de Giono, de l’étudier et de développer deux thèses sur ses récits. Je suis spécialiste des écrivains du XXe siècle, titulaire de deux doctorats sur Giono, le premier soutenu à la Sorbonne, le second à Denis Diderot. J’ai également écrit un article « Giono et la Corse » pour la revue Giono 2021.
Pourquoi un livre sur Giono ?
Après Nietzsche qui a inauguré la série avec « Nietzsche et la Corse » de Thierry Ottaviani, parler de Giono et la Corse tient du paradoxe car il est attesté que Giono n’y a jamais mis les pieds. Mon essai n’aurait donc jamais dû voir le jour. Or, les circonstances en ont décidé autrement. Il n’y a pas de honte à le reconnaître, seule la rencontre avec Marc Giorgi a été déterminante et la discussion que nous avons eue sur les affinités et les ressemblances entre les membres de sa famille et les personnages de Giono m’a permis aussitôt de lever le paradoxe : les ancêtres de Marc Giorgi s’incarnaient dans les personnages ; des êtres de chair et de sang entamaient leur transmutation ; leur sang se changeait en encre. Les Valery dialoguaient alors avec les Jason des Deux cavaliers de l’orage ; le village de Pietra di Verde entrait en résonance avec les Hautes-Collines de Giono.
Quel est le rapport entre Giono et la Corse ?
Comment les lieux forgent les cœurs, les passions et les caractères ? Entre Echo et contrepoint, mon essai propose une réflexion sur la représentation de l’espace dans les univers fictionnels, dont il sonde les liens intimes avec la réalité. Mes thèses sont centrées sur le Giono deuxième manière, et, plus particulièrement : « Deux cavaliers de l’orage » ainsi que « Ennemonde » et « les Récits inachevés : Cœurs, Passions, Caractères »… L’essai porte, en grande partie, sur les textes de Giono. Il s’agit pour moi de sonder les espaces humains (l’espace et le lieu confluant dans les « espaces humains ») et de les mettre en perspective avec la réalité géographique à laquelle sont confrontés les habitants de Pietra di Verde. Gille Deleuze n’a cessé de répéter que « le devenir est géographique ». On retiendra que pour Deleuze « ce qui compte, c’est le devenir-présent : la géographie et pas l’histoire, le milieu et pas le début ni la fin, l’herbe qui est au milieu et qui pousse par le milieu » (Gilles Deleuze, Claire Parnet, Dialogues)
Comment l’écriture s’est-elle articulée avec Marc Giorgi ?
C’est dans le village de Pietra di Verde que nous jouions, mes cousins Jean-Guy et Charles-Eric Talamoni et moi-même, lorsque nous étions enfants et que nos familles nous installaient dans la maison de mes grands-parents et arrière-grands-parents pour l’été. Lorsque j’ai demandé à mon cousin à qui je pouvais m’adresser pour nourrir les correspondances entre les personnages de Giono et les villageois de Pietra di Verde, Charles-Éric a indiqué Marc Giorgi que j’ai aussitôt contacté. Nous avons d’abord échangé par téléphone pendant les premiers mois de 2020. Ensuite, comme je viens dans mon appartement de Bastia tous les étés, nous nous sommes rencontrés à Pietra di Verde et nous avons élaboré le plan et les thèmes autour desquels l’essai devait s’articuler. Nous avons réalisé comme cela trois séances de travail en juillet et août 2020 et nous avons poursuivi nos échanges par téléphone pour terminer l’essai. Nous sommes toujours en contact téléphonique avec Marc car du travail d’écriture en commun est née une précieuse amitié entre nous. Une fois l’essai terminé, j’ai demandé à mon cousin Jean-Guy Talamoni d’en rédiger la préface, ce qu’il a volontiers accepté.
Et la photo de couverture ?
Si j’ai choisi cette maison si particulière pour illustrer la première de couverture de l’essai, c’est en raison de son inquiétante étrangeté et de son caractère inaccessible, fascinant et monstrueux. C’est également pour rendre hommage à ma mère qui l’a peinte, en 1959.
Quels sont vos Projets ?
Avec Marc et un ami musicien, professeur de piano au conservatoire de Bastia, nous travaillons sur une lecture de certains des textes de l’essai entrecoupée de musique composée pour la circonstance par notre ami Damien Michel. Nous comptons organiser le spectacle dans le village même de Pietra di Verde, soit directement dans l’église, soit sur le parvis de l’église, en fonction des conditions météorologiques et des contraintes liées à la pandémie de Covid-19, fin juillet ou début août 2021. Si notre lecture publique de Pietra di Verde, prévue pour fin juillet ou début août, fonctionne avec le public, nous essaierons de refaire le spectacle à Bastia dans le magnifique théâtre qui surplombe le vieux port. Nous comptons également organiser des dédicaces cet été dans les librairies de Corse.