Tous les 27 août, les autorités civiles et militaires commémorent la libération de Meaux. Année après année, la cérémonie conserve un caractère particulier : elle signifie la fin d’un cauchemar, la victoire sur la barbarie nazie, le respect de la mémoire des morts pour la France et le respect de ceux qui se sont engagés sans réserve pour sauver leur pays, leur ville, mêlés à un sentiment de joie indescriptible de retrouver une notion vitale… la liberté.
Marc Rousseaux était de ces résistants locaux. Il était le fils d’un maître imprimeur, professeur bénévole de gymnastique et de boxe française à l’Avenir Meldois, le club sportif de l’époque. Il avait suivi un cursus le conduisant à devenir instituteur puis avait finalement opté pour rester travailler aux côté de son père dans l’atelier de l’imprimerie familiale… en bois, rue de l’Arbalète. Il avait été mobilisé comme les autres Français, avait fait une courte guerre comme tout le monde avant d’être renvoyé dans ses foyers, auprès de sa femme, Alice et de son fils, Jacques.
La période de l’occupation avait signifié comme partout, le règne de la collaboration d’un côté et l’organisation de la résistance de l’autre. Travaillant dans une clandestinité toute relative et particulièrement risquée, Marc Rousseaux avait très rapidement mis à profit son métier et l’atelier paternel pour agir. L’imprimerie Rousseaux a alors produit tout ce qui pouvait se faire de faux : faux ausweis (laisser-passer), faux documents en tout genre, faux tickets de rationnement (seul moyen de se procurer à manger, destiné aux clandestins et aux malheureux) et documents d’identité divers. L’activité cachée en lien direct avec le réseau de résistance locale, dont il était un membre actif, aurait pu en quelques minutes faire basculer tout le monde vers un futur très incertain : une arrestation par la Gestapo et ses conséquences effroyables et une déportation de toute la famille vers des destinations dont on ne revenait pas…
« Nacht und Nebel : Nuit et Brouillard »
L’anecdote d’une peur bleue, concernant la période l’avait frappé. Un matin, un soldat allemand en uniforme s’est présenté à l’imprimerie. Panique entre les lettres et les rouleaux encreurs, les trois ouvriers, l’apprenti, tous se sont précipités pour dissimuler les travaux illicites et ne laisser sur les marbres que quelques commandes « normales » en cours de réalisation. En réalité, le soldat allemand, cantonné à Meaux, était aussi imprimeur outre-Rhin et avait, par nostalgie de sa profession, fait un petit tour amical chez le confrère meldois, histoire de respirer les odeurs de plomb chaud et d’encre qui lui manquaient sans doute. Il n’a rien vu !
Caractère, volonté, grand cœur
Marc avait un caractère particulièrement trempé et une volonté de fer, doublés d’une magnifique générosité. Il a, dès le début septembre, créé son propre journal, organe de presse de la libération, qu’il diffusait à moto après l’avoir entièrement réalisé tout seul en y travaillant jour et nuit… ainsi est née « La Marne ».
Légion d’honneur, Ordre national du mérite, la République lui a rendu de son vivant le témoignage des mérites qu’elle lui reconnaissait.Il a œuvré pendant toute la guerre, au sein de la résistance locale, aux côtés de Meldois qui ne sont plus aujourd’hui que des plaques de rues, Le commandant Berge, qui dirigeait le réseau local, mais aussi Paul Barennes, premier maire de Meaux à la libération, ou le député François de Tessan, mort de faim en déportation… principalement parce qu’il échangeait dans le camp ses misérables rations de nourriture contre des cigarettes.
Marc détestait la violence, l’injustice, la guerre. Aussi avait-il décidé d’épargner ses proches de récits des époques d’angoisse et d’une guerre dont il ne parlait pratiquement jamais. Répondant pourtant à une question posée en famille, il a un jour simplement expliqué sa position prise le 27 août, le jour de la libération de Meaux, en donnant une des leçons d’humanisme les plus importantes que nous ayons entendues : le comité de la Résistance avait organisé un dégagement à l’hôtel particulier de l’actuelle rue du Général-Leclerc, qui a longtemps été l’hôtel de la Sirène, et où le pouvoir nazi avait installé la Kommandantur. L’officier allemand qui commandait la place devait y être exécuté d’une balle dans la tête. Marc a refusé de se joindre au groupe, non par manque de courage, mais parce qu’il estimait que cette mise à mort n’apportait rien à la cause défendue depuis quatre ans, celle de la Liberté.
Marc Rousseaux était notre grand-père, un résistant meldois parmi les autres. C’était il y a longtemps. Il aurait aujourd’hui 110 ans.
Ses petits-enfants, Hélène et Marc