Gaspard Koenig, philosophe essayiste romancier, voyage à cheval sur les traces du philosophe Montaigne. De Bordeaux à Rome, en passant par l’Allemagne, l’équipée a fait étape à Meaux, vendredi 31 juillet.
S’enrichissant de la rencontre avec ses hôtes, dormant d’une traite ses huit heures, comme il explique, il a voulu s’enquérir de l’humanité, versus l’intelligence artificielle. Gaspard Koenig voyage à cheval et a fait étape à Meaux, entre le centre équestre, pour sa jument, et la maison de retraite Terfaux, pour lui-même.
Comment faire le lien entre le philosophe Michel de Montaigne et l’intelligence artificielle (IA) ? L’évidence s’est imposée à Gaspard Koenig qui a récemment mené une enquête sur l’IA. Celle-ci a déclenché chez l’écrivain l’envie du voyage, cédant au besoin d’un retour vers le passé, « rebuté par ce qu’il voyait ». Il déclare : « L’intelligence artificielle, telle qu’elle est utilisée commercialement aujourd’hui, risque d’aboutir à un monde très standardisé et j’ai eu l’envie de faire un voyage qui est l’inverse de ça. »
Il ne faudrait pas en conclure pour autant qu’il est devenu allergique aux technologies actuelles. Il utilise une tablette avec des applications qui lui permettent, par exemple, de reconnaître les végétaux et d’avoir à sa disposition toutes les cartes pour ses trajets.
Pour lui, le voyage doit permettre de rencontrer les autres mais aussi de devenir autre : « C’est en tout cas le conseil que Montaigne emprunte à Socrate. On disait à Socrate que ‘quelqu’un ne s’était aucunement amendé en son voyage ; je crois bien, dit-il, qu’il s’était emporté avec soi’. » Gaspard Koenig souligne : « Je n’ai emporté de moi-même que le strict minimum : deux t-shirts, des livres sur Kindle, un passeport devenu inutile et une carte SIM pour communiquer avec ma famille… Ça apprend à vivre dans le dépouillement. Je dors parfois dans des endroits extrêmement sympathiques mais extrêmement spartiates. Maintenant, quand j’ai un matelas, un point d’eau et un toit au-dessus de ma tête, je considère que c’est le luxe. C’en est un aussi d’avoir de la nourriture car quand on traverse des zones sans commerces durant trois jours, c’est compliqué… Malgré tout je dois dire que rien ne me manque. On apprend à être seul. »
Meaux, étape importante
Lors de son périple, 440 ans auparavant, Montaigne tenait un journal de voyage dont toute la première partie a été perdue. Ainsi, la première page de ce qui reste des écrits raconte son passage à Meaux. Pour Gaspard Koenig, jusqu’ici, c’était un peu « parcours libre ». A Meaux, sur l’itinéraire officiel, le philosophe contemporain s’est rendu à la cathédrale pour comparer l’endroit avec les notes qu’avait prises Montaigne et ce que c’est devenu.
Gaspard Koenig voulait toucher du doigt les identités régionales qu’il a constaté « encore très vivaces » et redonner sa place à l’humain : « C’est l’occasion de faire le point sur les populations, ce qu’elles pensent, comment elles vivent, comment elles accueillent l’étranger… Exactement 440 ans après Montaigne, je suis parti de Bordeaux, comme lui, de son château, et puis direction Paris. Montaigne voulait voir le roi. Il a ensuite bifurqué vers l’est parce qu’il voulait voir les protestants, il est passé par l’Allemagne et par les bains pour se soigner, puis est arrivé à Rome où il aurait eu une sorte de mission diplomatique secrète… Je suis à peu près le même trajet que lui, mais mon voyage n’est pas une reconstitution historique. »
Le temps « pas si ralenti que ça »
Gaspard Koenig, avec 2 500 kilomètres parcourus en cinq mois, entendait bien faire ralentir le temps. Cependant, s’il confirme que le transport est lent, comme il l’avait programmé, « les journées sont occupées de 7 heures du matin à minuit » : « Il n’y a aucune place pour les occupations personnelles, mais le plus important, ce qui m’a ému, et c’est là où mon voyage tient ses promesses, c’est l’accueil que je reçois des gens. Il est possible aujourd’hui de vivre un peu de la charité publique. Je suis essentiellement hébergé chez l’habitant et ça se passe vraiment très bien. Les gens s‘arrangent, logent le cavalier, nourrissent le cheval, font avec les moyens du bord. Ça reste possible. J’ai reçu vraiment partout un accueil émouvant. Les gens n’ont rien à en retirer et pourtant ils aident. J’avoue que c’est ce que j’espérais et je ne suis pas déçu. »
Sur les chemins, Gaspard Koenig fait marcher au pas sa jument espagnole, Destinada, qu’il surnomme Desti, et commente les paysages, champêtres ou urbains : « Quand on est en forêt avec le cheval, c’est génial ! C’est l’élément idéal pour le cheval, c’est le top de l’éco-système mais dans les grandes cultures céréalières, ça ne va pas bien. On n’a pas d’ombre, on a chaud, les chemins sont difficiles. En revanche, en centre-ville, même dans les banlieues comme ce matin, ça se passe très bien car ce sont des endroits vitaux, humains. Il y a des petits passages, on peut se faufiler… A rebours, on voit les endroits inhumains que sont les zones pavillonnaires et les centres commerciaux, enfin tout le péri-urbain, qui sont inhumains. Ces zones sont difficiles à justifier. Par exemple, il ne faut jamais demander son chemin à quelqu’un qui est en pavillon, il ne sait pas où il habite, il ne sait pas qu’il y a un chemin à cent mètres de chez lui. Et quand on traverse une zone commerciale à cheval, tout d’un coup on est dans un environnement hostile. »
Le philosophe cavalier a quitté Meaux samedi 1er août pour prendre la direction de La Ferté-sous-Jouarre.
Pour suivre son périple : www.gaspardkoenig.com