Agriculture ► Maillon faible de la digitalisation, la filière doit rattraper son retard

Le Salon de l’agriculture débutera la semaine prochaine, samedi 25 février, et durera jusqu’au dimanche 5 mars, à Paris. A l’approche de l’événement les regards se tournent vers l’agriculture et ses acteurs. La chaire Digitalisation et innovation dans les organisations et les territoires de l’école de commerce EM Normandie, a publié, jeudi 16 février, une étude intitulée « L’agriculture, maillon faible de la digitalisation ? »

Selon l’étude menée par l’école de commerce EM Normandie, il y a un gap entre la vision d’une agriculture hyper-digitalisée et la réalité́, qui ne semble pas aussi avancée. Les enseignants chercheurs de l’EM Normandie analysent les causes du retard et proposent une série de pistes à explorer pour combler la différence.
 
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Mathilde Aubry, professeure en économie et responsable de la chaire, explique : « Un travail de recherche préalable sur la digitalisation de l’économie nous a permis de remarquer que les chiffres pour le secteur agricole étaient très différents de ceux des autres secteurs. Nous avons voulu en savoir plus et avons donc monté une équipe de travail pluridisciplinaire afin de mieux comprendre les spécificités du processus de digitalisation du secteur agricole. Nous nous réjouissons de pouvoir présenter au public les résultats de cette étude à la veille du salon de l’agriculture ».

Hasard du calendrier, le Programme et Équipements Prioritaires de Recherche (PEPR) sur l’agroécologie et le numérique a été lancé officiellement au début du mois de janvier par les ministères chargés de la Recherche, de l’Agriculture, de la Transition numérique.
 
Alors que la digitalisation du monde agricole est présentée dans les discours institutionnels comme la solution miracle pour produire davantage afin de nourrir une population grandissante tout en respectant des critères environnementaux, l’agriculture apparaît comme le maillon faible de la digitalisation. Le secteur se digitalise lentement mais ne transforme pas ses modèles d’affaires.


 
Au-delà de la première conclusion, l’étude montre que l’usage des technologies numériques varie fortement selon le type d’activités : la production végétale (culture) est la plus équipée en outils numériques, tandis que l’élevage est à la traîne.  

Un retard relatif comparé
aux autres secteurs économiques : trop d’offre tue l’offre

Tout d’abord, trop d’offre tue l’offre. Parmi une kyrielle d’outils proposés par les startups, les équipementiers, les prestataires, les coopératives, l’agriculteur ne sait pas lesquels choisir, ni à qui accorder sa confiance.
 
Ensuite, les datas produites échappent aux agriculteurs. Elles sont aspirées par les outils numériques, et les données dont ils disposent ne sont pas toujours pertinentes pour leur travail. La diversité́ des exploitations, du fait de leur production, de leur taille et de leur territoire, rend peu intéressantes les analyses globales.
 
Enfin, on observe un effet charge mentale : il n’y a pas d’interconnexion des outils, leur multiplication complexifie la vie des agriculteurs au lieu de la simplifier. 
 
Conclure que le secteur agricole délaisse la digitalisation et ne se modernise pas serait une erreur. Au contraire, l’offre dans le domaine est pléthorique pour être à la hauteur des enjeux auxquels doit faire face le secteur. Le problème se situe justement ici : les agriculteurs rencontrent une surabondance d’outils qui ne correspondent pas toujours à leur réalité́, à leurs besoins. Cela retarde la transformation numérique d’un secteur au centre des réflexions sociétales que nous connaissons.   

Corriger le tir, repenser l’organisation

L’enjeu d’une digitalisation réussie n’est pas seulement d’introduire les outils digitaux pour, par exemple, automatiser les pratiques de production ou de gestion : il faut aussi repenser l’organisation et la stratégie de l’entité́ agricole. 
 
Pour les agriculteurs interrogés dans le cadre de la recherche, la transformation numérique doit donner lieu à des améliorations et des innovations permettant alors de modifier en profondeur non seulement les méthodes de production, mais aussi les modes de communication et de gestion de l’entreprise. Pour cela, elle doit également être le fruit de projets réfléchis, cohérents, et non de décisions au coup par coup. Les agriculteurs doivent aussi être replacés au centre des dispositifs d’innovation par ceux qui les conçoivent.
 
Il faudrait tout d’abord adapter les outils à la diversité des exploitations agricoles (taille, type de production, etc.). Par ailleurs, ces outils se concentrent sur la production mais ignorent la variété des tâches que doivent mener à bien les agriculteurs (RH, approvisionnement, gestion comptable, approvisionnement…). 
 
Enfin, deux éléments cruciaux apparaissent : d’une part les agriculteurs sont aussi des chefs d’entreprise qui ont besoin de pouvoir s’appuyer sur un réseau professionnel solide et constructif afin d’être accompagnés dans les choix des outils pertinents pour eux et dans leur utilisation ; d’autre part les politiques publiques doivent également être revues en ciblant davantage les subventions vers des agriculteurs qui favorisent à la fois la transition agroécologique et entrepreneuriale. 
 
Menée conjointement par cinq enseignants-chercheurs de l’EM Normandie (Mathilde Aubry, responsable de la chaire, Zouhour Ban Hamadi, Roland Condor, Nazik Fadil et Christine Fournès), le travail a porté sur un panel de 213 exploitations agricoles de moins de dix salariés.

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