Les agriculteurs en colère retournent les panneaux d’entrée des villes et villages. En Seine-et-Marne, la manifestation du mouvement de protestation contre « l’augmentation des contraintes et l’empilement des taxes » a démarré mercredi 22 novembre.
Les agriculteurs ont entamé un mouvement de protestation national, dénonçant « l’augmentation des contraintes et l’empilement des taxes ». La Seine-et-Marne n’est épargnée ni par problèmes rencontrés par les agriculteurs, ni par les signes de la manifestation, même si ceux-ci sont symboliques. En effet, la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) a décidé de faire entendre sa voix de manière pacifique, en retournant les panneaux d’entrée et de sortie des villes, pour la fédération le symbole que le pays « marche sur la tête ». Après avoir débuté dans le Tarn, mardi 14 novembre, l’opération « Tête à l’envers » est arrivée en Seine-et-Marne, mercredi 22. L’action vise à alerter la population et plus particulièrement les élus.
Pour les agriculteurs, le gouvernement, via son administration, ne cesse d’imposer les obligations qui se multiplient et se superposent, fragilisant tous les pans de l’agriculture française et par voie de conséquence seine-et-marnaise.
Christophe Parent, exploitant agricole en polyculture à Oissery depuis une dizaine d’années, a repris l’entreprise familiale qui existe depuis cinq générations. A 39 ans, il gère ses productions avec un assolement orienté vers les grandes cultures qui se composent de haricots, blé, colza, orge, tournesol, betteraves. Élu secrétaire général adjoint de la FDSEA 77 (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles) en 2022, il déplore : « Le gouvernement continue à mettre des boulets aux pieds des agriculteurs alors que nous sommes prêts à relever le défi de la transition écologique et à partager un projet ambitieux de souveraineté alimentaire*. Il ne se passe pas une semaine sans qu’on ait une nouvelle annonce comme pour le glyphosate. Il y a six mois, la Première ministre disait qu’il fallait suivre l’Europe qui prolongeait l’autorisation de l’utilisation du produit pour dix ans, et, le 13 octobre, la France n’a pas accepté les termes de l’Europe. »
Le 16 novembre, conformément aux règles européennes, c’est la Commission qui a dû décider faute d’accord et a tranché pour l’approbation du glyphosate jusqu’en 2033. La France n’est toujours pas d’accord et les agriculteurs s’adaptent, se réadaptent, se ré-réadaptent… Christophe Parent précise : « Les normes européennes sont plutôt collectives mais en France on veut faire plus blanc que blanc. Les agriculteurs se mettent en conformité à chaque fois, mais là c’est trop avec toutes les redevances qui s’ajoutent. »
Selon la fédération, la France, autrefois premier producteur et exportateur européen, serait, en quelques années, passée au cinquième rang, n’épargnant aucun pan de son agriculture. Alors que cette dernière assurait le besoin quotidien des Français, le pays importe désormais 50% de son alimentation. Christophe Parent reprend : « Cela revient simplement à déléguer ce que nous mangeons à d’autres pays dont les normes de production ne respectent pas les mêmes standards… Les contraintes se multiplient et, par exemple, le gouvernement, en imposant 4% de jachère, supprime des moyens de production. A cela s’ajoute une règlementation européenne qui vise à comparer nos élevages avec des usines polluantes. Quant à l’agriculture biologique, son marché est en réelle berne… Il faudrait qu’on investisse, comme par exemple dans la robotique, mais on manque de capacité d’investissement. »
Dans la région du Pays de Meaux, un autre agriculteur s’insurge : « Pour pouvoir utiliser les produits, on a dû suivre une formation et passer une sorte d’examen, et puis cette année, on nous oblige à suivre encore une formation pour la même chose. On nous oblige aussi à effectuer des modifications sur nos engins agricoles de pulvérisation, et c’est à nos frais… Bientôt la France sera en friche et on achètera des céréales de l’étranger comme ça se passe déjà avec le Canada qui est loin d’avoir les mêmes normes phytosanitaires que l’Europe, et encore moins que la France. Chez eux, ils sont soumis à d’autres contraintes. Par exemple, ils doivent faire mûrir les récoltes rapidement avant l’hiver qui arrive tôt dans l’année. Pour accélérer les processus, ils ‘glyphosatent’ à fond, et puis après, ils envoient en France… »
En outre, le gouvernement a fait le choix d’augmenter les redevances sur les produits phytosanitaires et sur les prélèvements en eau, « contrairement aux annonces de ne plus augmenter les taxes ». Le secrétaire général adjoint de la FDSEA souligne : « Sans irrigation, comment produire des légumes pour alimenter la future plateforme de conditionnement pour les cantines scolaires ? Les incohérences des pouvoirs publics qui multiplient les plans sectoriels sur le bio, les protéines, les fruits et légumes, créent de l’incertitude et un manque de vision à long terme, décourageant l’installation des jeunes. »
Taxes phytosanitaires et tâches administratives trop importantes pour les exploitations, normes supplémentaires, toujours plus contradictoires les unes que les autres, des trésoreries déjà fragiles et alors que leurs prix de vente restent inchangés, pour les agriculteurs, il est « urgent de trouver des solutions ».
Les exploitants agricoles attendent de l’opération « L’agriculture a la tête à l’envers » une concertation, davantage de cohérence dans le pays et un arrêt des normes « punitives ».
*La souveraineté alimentaire est un droit des populations à décider de leurs propres stratégies et politiques pour garantir leur sécurité alimentaire tout en considérant les effets sur les autres. Elle garantit, par le biais de choix d’alimentation mais aussi de politiques agricoles ou commerciales, l’accès à une alimentation saine et durable. Il s’agit d’un concept global où social, économie, politique et environnement sont étroitement mêlés, et qui suppose une capacité d’accès aux ressources (foncier, eau, semences…) nécessaires pour répondre aux besoins des populations. (Source : Dico AE)
Sécurité et souveraineté alimentaire sont deux notions qu’il faut différencier. De manière schématique, la sécurité alimentaire est un état de fait – celui d’avoir assez de nourriture de qualité – et la souveraineté alimentaire interroge les moyens pour y parvenir et plus spécifiquement les politiques mises en œuvre.
Fondation Farm (Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde)